J’ai emprunté ce livre qui a surgi par hasard suite à une dispute houleuse dont les conséquences sont plus que fâcheuses.
La majeure partie du livre est drôle, utile et pourrait être citée ici – je vous invite donc à lire ce livre dans son intégralité – mais voici une sélection de passages que j’ai retranscrits pour revenir dessus dans le futur :
Introduction
page 10 :
L’une des principales caractéristiques de la connerie – d’où l’importance d’employer sa désignation argotique – est qu’elle absorbe en quelque sorte votre capacité d’analyse et, par une étrange propriété, vous contraint toujours à parler sa langue, à entrer dans son jeu, bref, à vous retrouver sur son terrain.
page 12 :
Elle se distingue par une résistance très spécifique que les cons opposent aveuglément à tout ce qu’on veut faire pour améliorer une situation quelconque – y compris la leur.
Pour résumer la permanence insurmontable de cette force, on conviendra donc de ceci ; les cons s’obstinent.
Cette particularité a l’inconvénient de couper court aux solutions les plus simples. Car l’obstination des cons signifie qu’il n’y a aucun sens à plaider la tolérance face à l’intolérance, l’esprit éclairé face à la superstition, l’ouverture d’esprit face aux préjugés, etc. Les grandes déclarations et les bons sentiments ne servent qu’à faire plaisir à celui ou à celle qui parlent, et ce plaisir est encore une manière pour la connerie d’absorber son adversaire, de le reprendre dans ses filets et d’entraver, encore et toujours, son effort pour comprendre.
page 19 :
Si nous avons un problème avec les cons, c’est donc à l’évidence que nous faisons dans cette rencontre l’expérience de nos propres limites. Ils marquent le point au‑delà duquel nous ne savons plus comprendre et où nous ne pouvons plus aimer. Cela ne nous laisse que deux choix. Soit nous nous complaisons dans notre finitude, et nous adoptons l’attitude des nigauds qui préfèrent ricaner, parce qu’ils ont trouvé là le moyen de jouir de ce qu’ils ne comprennent pas. Soit nous reconnaissons la force exacte de la connerie, à savoir qu’elle se trouve dans l’effet qu’elle nous fait, à nous, et nous recourons à la force des concepts pour marcher enfin sur la tête des cons, c’est‑à‑dire pour devenir pas seulement meilleurs qu’eux, mais meilleurs que nous‑mêmes.
page 28 :
Pour tout à fait comprendre la situation, il faudrait tenir compte d’un processus selon lequel ce ne sont pas seulement les cons qui détruisent les conditions de la vie sociale, c’est aussi une société malade qui produit des cons.
page 33 :
Oui ! Plus vous savez et sentez que le con est un con, plus vous perdez votre pouvoir de bienveillance, plus vous vous éloignez de votre propre idéal humain, et plus vous vous transformez vous‑même… exactement en proportion… en un être hostile, c’est‑à‑dire en un con (la preuve en est, en particulier, que vous devenez le con ou la conne du con).
Vous n’êtes pas le prof des cons. Changez les situations, pas les personnes.
Comment se remettre de sa stupeur
page 37 :
Donc, plus vous vous débattez pour échapper aux cons, plus vous aidez l’un d’eux à naître – en vous.
page 41-42 :
[…] vous devez reconnaître que votre douleur locale (née du fait que votre ex vous harcèle pour l’ancien aspirateur, ou que votre collaborateur vous fait répéter cent fois la même chose sans suivre vos indications) vous a fait passer mentalement d’un cadre relatif – l’action particulière du con et votre réaction particulière à son existence – à une affirmation inconditionnelle (stultitia delenda est : il faut absolument détruire la connerie universelle, et si possible anéantir ce con). Ce dérapage mental est ce qu’on appelle une induction, car on passe du particulier au général, et cette induction est erronée. Par cette opération logique inconsciente, le germe ou le virus de la connerie s’est introduit en vous. En effet, vous affirmez comme absolue une vérité qui n’est que relative, et vous vous placez (certes, inconsciemment) en position de juges de l’Univers ; or considérer son propre avis comme un absolu, c’est l’une des définitions subjectives du con, l’image divine qu’il a de lui-même.
page 44 :
Là où la connerie advient, votre valeur doit survenir.
Comment on passe de la faute à la chance
page 47 :
Où l’on découvre que la connerie n’a pas de spectateurs, mais seulement des complices. Et c’est pour cela qu’elle ne nous laisse pas indifférents, et que nous désirons agir.
page 50 :
Vous me direz que vous n’y êtes pour rien, dans sa connerie ; et moi je vous réponds que vous y êtes pour quelque chose, car vous êtes celui ou celle qui la perçoit. En ce sens, même si ça vous dégoûte, le con et vous, vous faites équipe.
pages 53-54 :
En vertu de l’ambivalence axiologique de tout événement, et en vertu de l’intrication réciproque du sujet et de l’objet, la connerie des autres doit donc immédiatement être comprise comme une occasion favorable, nécessaire, opportune, à votre propre développement moral.
page 54 :
Prenez l’initiative de la paix.
Rechutes dans l’émotion
page 59 :
Plus l’émotion est vive, plus l’obscurité autour d’elle est profonde. À chaque nouveau choc, votre champ de vision se rétrécit et l’événement local prend une valeur absolue, comme si rien n’avait jamais été plus lumineux ni plus brillant que lui.
page 61 :
Contre l’immédiateté de l’événement, il faudrait prendre le recul de la réflexion. Contre l’intensité du vécu, revenir à la froideur de la pensée. Contre les limitations de la subjectivité, prendre un point de vue objectif. Il y a du bon sens dans tout ça, et comme toujours avec le bon sens, une grande part de naïveté.
page 65 :
Ne luttez pas contre l’émotion. Épuisez‑la.
Comment l’impuissance engendre le devoir
page 72 :
Faire la morale, c’est donc essayer de transformer ce à quoi s’identifie l’autre. Il s’agit de faire en sorte que le con ou la conne se dissocient eux‑mêmes de leur acte, qu’ils s’identifient plutôt au système de valeurs que vous essayez de défendre, afin que, dans l’avenir, la personne au comportement inadapté ne le répète plus.
page 77 :
Quittez la posture moralisante. Cessez de juger. Tout de suite !
Comment les autorités morales entrent en conflit
page 80 :
À l’image de tout effort de communication, ces « services clients » sont plutôt moins destinés à régler vos problèmes qu’à les étouffer jusqu’à la prochaine facture.
page 83 :
Dans ce contexte, la notion de devoir apparaît comme un opérateur linguistique destiné à pousser à l’action en l’absence d’autres motifs, c’est‑à‑dire en occultant la relation entre les interlocuteurs, en masquant les agents de la situation, et en faisant l’impasse sur toute articulation entre les désirs – ce qui, en définitive, est une manière de priver l’interaction de tout ce qui pourrait la rendre productive.
pages 83-84 :
Le problème, en effet, consiste en ceci que la confiance des interlocuteurs l’un dans l’autre, c’est‑à‑dire dans la capacité de l’autre à formuler quelque chose de vrai ou de recevable, est perdue. Ce point est crucial : avec les cons et par leur faute, la branche sur laquelle repose le langage s’est cassée. Plus précisément, quelque chose dans l’interaction humaine s’est verrouillé, et ce verrou à la fois rend impossible le jeu social et invalide les règles élémentaires des échanges verbaux les plus simples.
page 85 :
Ainsi, la crise de confiance se traduit en un conflit d’autorité, et ce conflit d’autorité devient un conflit d’interprétation, si bien qu’en définitive le sermon, malgré son apparence digne et drapée de vertu, n’a rien fait d’autre que déplacer le problème, sans le résoudre.
Mais il y a pire. Car les vrais cons – ceux qui ne sont pas et ne deviendront jamais vos amis – disposent d’un système de valeurs différent du vôtre, dans lequel le comportement que vous jugez inadmissible, ils le trouvent parfaitement correct, et où c’est votre comportement à vous qui au contraire, etc.
page 87 :
Ainsi, la grande difficulté que rencontre le discours moralisant lorsqu’il est adressé à un con, n’importe lequel, est qu’il présuppose une base minimale commune, à partir de laquelle on pourrait discuter pour évaluer ensemble nos comportements. Mais contrairement aux enfants et plus généralement à ceux qui nous sont liés par des rapports d’affection, les cons n’ont aucune raison ni d’accepter votre système de valeurs, ni de faire l’effort consistant à le comprendre pour le remettre en cause. Face à quelqu’un qui refuse jusqu’à l’idée d’établir des règles ensemble, il devient impossible de s’entendre, ce qui plonge tout le monde dans la situation de la plus grande impuissance.
page 89 :
Hélas, ce n’est pas tout. Car nos interactions ne sont pas seulement linguistiques, elles brassent tout un éventail d’impressions sensorielles (ton de voix, gestes, postures, apparence physique, mais aussi digestion en cours, échos d’expériences passées, etc.) que chacun interprète dans tous les sens, opposés et contradictoires d’une personne à l’autre.
page 91 :
Renoncez aux jeux de langage. Ils ne veulent pas comprendre.
Comment écouter un con ?
page 97 :
Bien que je décèle quelque chose de généreux dans votre effort, il est d’abord indispensable que vous appreniez à nier la compétence de son tribunal. Sans commencez par vous asseoir sur le jugement des cons, vous ne vous en sortiriez pas.
page 99 :
On ne peut briser le cercle du moralisme, qui tourne autour d’une confiance à jamais perdue, qu’en reconnaissant le sermon comme un chant de deuil qui fait suite, justement, au naufrage interactionnel.
page 100 :
Car une fois que vous aurez appris à reconnaître la souffrance, à l’accueillir, à l’encourager à se déverser, vous ferez l’expérience suivante : les sermons qu’on vous fait perdront leur principal pouvoir (celui de taper sur les nerfs), et celui est celle qui vous les tiendront perdront progressivement leur ton accusateur, pour se laisser aller à une confession qui les soulagera. Or, si le con a envie d’avoir raison, il est très peu probable qu’il vous mente. Pour vous montrer qu’il est dans son droit, il vous fera un récit sincère. Et se raconter ainsi à quelqu’un, c’est tout autre chose que de la communication, c’est profondément faire quelque chose ensemble.
page 101 :
On ne peut surmonter le feu d’artifice que nous offre la connerie humaine qu’en renonçant une bonne fois à la conceptualisation (c’est‑à‑dire aux jugements) pour se fier tout entier aux pouvoirs de la narration.
[…] le plus efficace est d’ouvrir en urgence votre confessionnal.
pages 102-103 :
[…] nous n’avons pas besoin d’être tout à fait d’accord pour faire vérité ensemble, car la vérité d’une situation morale résulte de la croisée des positions. Pour en approcher, il est indispensable d’y incorporer l’avis du connard le plus demeuré ou le plus malhonnête d’entre tous, en déterminant avec lui sous quel angle son avis a quelque chose de partageable, et donc peut devenir compatible avec les autres. Ce travail d’incorporation, qu’on appelle également diplomatie, est l’un des plus grands défis de notre temps (peut‑être de tous les temps, mais je n’y étais pas).
page 103 :
Car on peut dire qu’une émotion quelconque se soulage dès qu’elle se raconte, alors qu’elle s’irrite dès qu’elle fuit dans la théorie.
Le grand défi moral ne consiste pas à rendre la connerie plus savante, mais, plus modestement, à empêcher les cons de nuire dans la pratique.
page 104 :
Partagez vos récits, encouragez leurs narrations.
Pourquoi l’État se fout de nous
page 114 :
En effet, d’un côté, la posture de révolte contre leur connerie structurelle est indispensable à la démocratie : sans l’engagement de tous et de chacun dans les problèmes collectifs, nous retomberions de facto en régime tyrannique. Pour être honnête, à cause d’une indifférence grandissante et d’un repli tragique des individus sur eux‑mêmes, il faut avouer que nous y sommes déjà en partie. Il est donc indispensable que votre effort contre la connerie des institutions se perpétue, et que vous ne renonciez jamais à vous en émouvoir.
page 116 :
Valorisez vos adversaires, votre lutte se fera politique.
Pourquoi la menace est une forme de soumission
page 121 :
Cependant, l’extension du domaine juridique comporte un grave risque : en multipliant les lois, elle ouvre l’une après l’autre les portes de votre vie à l’intervention de l’État, ce qui n’est pas une bonne nouvelle, car l’État ne devrait intervenir qu’en cas d’extrême nécessité. Ensuite, elle tend à vous habituer à faire appel à la justice, autrement dit à la grosse-machine-plus-forte-que-toi-sale-con, au lieu de privilégier d’autres manières de résoudre les conflits, ce qui est un inconvénient, paradoxalement, encore bien plus sérieux que le premier.
page 122 :
Cette tendance favorise la pénétration de l’État partout, et un État omniprésent est la définition du totalitarisme.
pages 124-125 :
Ainsi, sous la couche des institutions, il est indispensable d’encourager et d’entretenir une forme de conscience sociale, incarnée en chaque individu, capable d’interagir de manière en quelque sorte infralégale, informelle, avec les cons. Les lois, les juges et la police peuvent et doivent continuer d’exister comme des garde‑fous pour les criminels, mais il est indispensable qu’en plus de légiférer, nous soyons capables de régler, dans la mesure du possible, nos conflits sans l’État.
page 128 :
Sous les lois, s’il le faut. À l’air libre, toujours.
Comment la morale achève l’interaction
page 132 :
Plus on nous protège, moins nous avons le réflexe de nous défendre nous-mêmes.
page 141 :
N’imposez pas vos normes. Négociez celles des autres.
Pourquoi les cons préfèrent détruire
page 154 :
Faites la paix, et laissez-les en guerre.
Pourquoi les cons gouvernent
page 165 :
En d’autres termes, changez le monde non parce qu’il vous révolte, mais parce que vous l’aimez – y compris tel qu’il est – ce qui n’empêche pas d’avoir des préférences.
page 165 :
Faites toujours valoir vos préférences – Jamais vos frustrations.
Pourquoi les cons se multiplient
page 178 :
si vous tenez à vos valeurs, ne les défendez surtout pas ! Ce n’est pas en les brandissant comme des impératifs que vous parviendrez à les diffuser et à faire reculer la connerie. Car, je l’ai déjà dit, ce ne sont pas vos valeurs qui vous distinguent, ce sont vos rapports et la qualité de vos rapports.
page 179 :
Soignez vos interactions, et vos valeurs suivront.
Pourquoi les cons gagnent toujours
page 188 :
Surmonter la connerie de quelqu’un signifie donc nécessairement modifier les deux mondes par un télescopage réciproque, fondé sur la présence de brèches de part et d’autre. Rassurez‑vous, faire évoluer les mondes n’est pas une responsabilité qui vous incombe seulement à vous : en vous situant à grande échelle, vous pouvez laisser l’Histoire les changer naturellement par son propre cours. Mais quoi qu’en pensent les « progressistes », nul ne connaît le sens de l’Histoire ; et, quoi qu’en pensent les « conservateurs », l’Histoire ne se fait ni toute seule, ni à reculons. Nous n’avons donc pas d’autre choix que de participer aux changements qui sont déjà à l’œuvre, en consacrant nos efforts à orienter les évolutions de l’Histoire en direction de préférences que nous devons sans cesse réactualiser.
page 190 :
Explorez les brèches.
Conclusion
page 191 :
Voilà pourquoi nous n’avons pu nous approcher d’eux qu’en usant d’un miroir, et pourquoi, en définitive, ce livre vous engage à vous sentir de préférence plus con après l’avoir lu qu’avant, parce que vous savez, à présent, que défendre l’intelligence ne signifie pas se considérer comme habile ou expérimenté, mais affirmer en soi une pure volonté d’apprendre, c’est‑à‑dire se considérer comme un sujet qui a théoriquement tort.
page 192-193 :
Pour ne pas sombrer dans la guerre contre les cons, qui serait celle de tous contre tous, nous ne pouvons qu’osciller entre trois stratégies : négocier avec ceux qui le peuvent, faire évoluer ceux qui se laissent faire, laisser être ceux qui s’y refusent.
page 195 :
Pour ne pas ravaler votre colère face aux cons de tous poils, pour refuser de la laisser se perdre, il faudra donc vous organiser afin de faire place – oui, simplement faire place – à vos adversaires, afin qu’ils cessent de vous taper sur les nerfs et trouvent dans le jeu des forces une porte de sortie à peu près digne. Mais je vous ai prévenus : ils ne vous laisseront pas faire. Tandis que vous chercherez à vous affirmer comme une force de paix, ils continueront de s’affirmer comme des forces de guerre. Au quotidien, votre chemin ne pourra jamais faire autrement que passer par des moments de diplomatie, où vous accueillerez la souffrance et intégrerez la négation des cons, et d’autres de conflit ouvert, où vous repousserez leur souffrance et les laisserez enrager contre vous. Dans tous les cas, les cons vous apprendront toujours plus que vous ne leur apprendrez, parce que c’est vous qui souhaitez apprendre. Et je rappelle que, pendant ce temps, l’équilibre cosmique restera, lui, parfaitement indifférent aussi bien à la paix qu’à la guerre.